La Brière, un véritable « piège » à vestiges archéologiques

À l’occasion de travaux de curage d’une vingtaine de kilomètres de canaux, débutés en 2021, des actions d’archéologie préventive sont menées. Elles ont permis de confirmer certaines connaissances ou hypothèses sur le passé briéron et la vie d’autrefois, mais ont aussi abouti à d’étonnantes découvertes.

De la gestion de l’environnement à l’archéologie préventive.

Depuis l’abandon des activités traditionnellement liées aux marais, ces derniers ont tendance à se combler. Afin de préserver le paysage et la biodiversité, un entretien régulier des zones humides et des canaux est effectué. Entre 2020 et 2025, un programme de travaux est mené sur une trentaine de communes du bassin versant du Brivet et de la Brière. Coordonnés par le Syndicat du Bassin Versant du Brivet, il consiste notamment en des curages.
Or, la loi de 2001 relative à l’archéologie préventive prévoit, préalablement à des chantiers d’aménagement, l’intervention d’archéologues dans le but de réaliser un diagnostic – pour détecter l’éventuelle présence de vestiges – ou une fouille préventive – pour étudier les vestiges archéologiques identifiés –, afin de ne pas malencontreusement détruire ces traces du passé.
En Brière, l’histoire environnementale, le passé « maritime », le sous-sol fait de tourbe et de vase garantissent une excellente qualité de conservation des objets recouverts. « On peut dire que le sol de Brière est un véritable piège à vestiges archéologiques », se réjouit Yann Le Jeune, géoarchéologue au pôle archéologie de Loire-Atlantique et rattaché au Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences, Histoire (CNRS, Rennes). Il coordonne et participe à la mission d’archéologie préventive dans le cadre de ce suivi du curage des canaux. « L’objectif de ces recherches est de récupérer un maximum de données sans ralentir les travaux ». La réalisation de ce diagnostic archéologique est un travail exploratoire qui vise à identifier et à localiser les vestiges archéologiques.
La première portion de curage a été réalisée d’août à novembre 2021, sur plusieurs communes : Saint-Joachim, Herbignac, Saint-Lyphard, Trignac, Sainte-Reine-de-Bretagne et Saint-Nazaire. En 2022, les travaux se sont poursuivis à Saint-Joachim, autour des îles de Pendille et d’Aignac, à Saint-Nazaire et à Montoir-de-Bretagne. Pour 2023, les curages devraient s’effectuer à l’ouest de la Brière, aux alentours de Saint-Lyphard et de Saint-André-des-Eaux en s’enfonçant vers l’est, où l’on sait déjà que les traces d’occupation humaine sont nombreuses (nécropoles, tumulus, occupation ancienne par des agriculteurs, charbons qui datent du néolithique moyen…). Chaque année, le diagnostic démarre en août par des repérages à la tarière puis, début septembre, le suivi des curages débute avec les pelles mécaniques. Certains tronçons, notamment en centre Brière, ne se font qu’à la tarière.

Des bois bûcheronnés à la hache, conservés dans la tourbe

« Ces curages laissent apparaître différentes strates qui révèlent des vestiges que l’on n’a pas l’habitude de voir », poursuit Yann Le Jeune. « Nous avons été surpris, car nous nous attendions à découvrir certaines choses que nous n’avons finalement pas trouvées et nous avons trouvé des choses auxquelles nous ne nous attendions pas ! ». Parmi ces surprises, on peut citer des troncs d’arbre avec des traces de bûcheronnage à la hache, en forme de spirale, en cours de datation. « C’est assez inhabituel et cela nous renseigne sur des gestes et des techniques anciennes ».

Un foyer de l’âge de bronze et des objets plus contemporains

Et ce n’est pas tout ! D’autres vestiges étonnants sont apparus pendant ces fouilles : « Aux abords de Saint-Joachim, en partant de Pendille vers Crossac, sous la tourbe à la gauche du pont, nous avons découvert un foyer datant de l’âge du bronze, -1000 av. J.-C. ». Cela permet de corriger les données dont on disposait et de faire remonter l’occupation de l’île de Pendille bien avant le Moyen Âge !
Vers la déchetterie de Cuneix, le canal a été curé autour de la butte Moreau, une ancienne île, à proximité du menhir de la Pierre Blanche. « Nous avons entendu un gros bruit de cailloux avec la pelle mécanique. Ces cailloux n’avaient rien à faire là, car les fonds sont normalement ici plutôt argileux. Nous y avons trouvé des mégalithes d’un mètre chacun environ, avec face ronde et face d’arrachement. Peut-être était-ce un mégalithe plus grand détruit en plusieurs parties ou les traces d’une extraction par les hommes du
Néolithique ? ». Le suivi archéologique a aussi permis de mettre au jour de nombreux objets plus « récents » : une abondance de cartouches de chasseurs et même une plaque de cuivre datant du début du 20e siècle avec le nom du propriétaire de l’époque !

Une rareté : l’enceinte très ancienne d’un habitat collectif

Avant que ne commencent les travaux de curage, Yann Le Jeune avait réalisé une étude topographique sur la base d’une modélisation 3D de la Brière réalisée par l’IGN. « Près de Sainte-Reine-de-Bretagne, j’avais repéré quelque chose qui ressemblait à une enceinte courbe, caractéristique des habitats groupés des premiers agriculteurs. Ceux-ci ne vivaient pas alors dans des fermes, mais dans des habitats collectifs fortifiés construits en bois et en terre. Le canal qui devait être curé touchait cette enceinte à une extrémité. Il fallait faire attention ». Bien vu ! C’est ici qu’ont été retrouvés non seulement l’enceinte,
mais aussi des céramiques et divers autres vestiges. « C’est très intéressant d’un point de vue patrimonial, pour ceux qui voudront organiser ici des recherches plus tard ».

Des sols qui racontent l’histoire de l’environnement

Si le sol de la Brière cache des objets archéologiques, il est lui-même porteur de secrets ! Sous les deux mètres de tourbe s’intercalent des sédiments, dont la fameuse argile bleue, dépôt de la mer qui recouvrait autrefois la Brière. Par l’étude de ces sols, on peut retracer l’histoire de l’environnement et de la relation de l’humain avec celui-ci. C’est pour cette raison que la mission d’archéologie préventive qui suit les travaux de curage implique aussi une approche géoarchéologique.
En 2021, plusieurs sondages géoarchéologiques ont été réalisés au nord et en centre Brière afin, explique Yann Le Jeune, de remettre au clair les différentes couches de sédiments que l’on trouve sur le territoire et d’ainsi pouvoir mieux comprendre la formation du marais et des paysages qui l’ont précédé. D’autres sondages ont eu lieu en 2022. Ils ont fait l’objet de nombreuses observations stratigraphiques et ont confirmé les résultats obtenus l’année précédente. Du côté de Cuneix, ces sondages ont par exemple mis à jour les traces d’une ancienne rivière et d’une occupation humaine situées sous les argiles bleues,
donc avant que la mer ne recouvre le paysage, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années.

Des traces de l’ancienne forêt

« Nous avons récolté beaucoup de chênes fossilisés, en partie minéralisés, ce que les gens appellent « mortas » en Brière », relate Yann Le Jeune. « Cela correspond à une forêt qui s’est développée entre le moment où il y avait la mer et le moment où la tourbe s’est formée : les arbres ont été noyés par la remontée du niveau d’eau douce ». L’équipe archéologique a relevé leur localisation, leur position (en latitude) et effectué des datations au Carbone 14 : grâce à cela, elle a montré que tous ces arbres ne sont pas morts au même moment. Quant à la dendrochronologie, elle dévoile des cernes serrés, signes que les arbres ont poussé dans des conditions difficiles. Cela est sans doute dû à l’important stress hydrique subi lors de la remontée des eaux qui a causé la mort des chênes, au néolithique. Les études menées sur ces mortas, en partenariat avec des laboratoires du CNRS et des universités, suivent leur cours en 2023.

Un projet collectif de recherche pour valoriser les données collectées

Parallèlement au suivi des curages, l’équipe archéologique de Yann Le Jeune monte un projet collectif de recherche avec des universités (en Bretagne et en Loire-Atlantique), le CNRS et des associations locales d’archéologie afin de réaliser un travail commun sur l’histoire de la Brière, qui mêlerait à la fois l’archéologie et la géoarchéologie. Aucune fouille n’est pour le moment prévue, car il faut d’abord interpréter les nombreuses données déjà collectées et actuellement peu valorisées : la datation, la stratigraphie et probablement les mortas. « Ce projet va permettre de se déconnecter du suivi des «curages », témoigne Yann Le Jeune. « On pourra choisir les secteurs d’intervention et remettre au net toutes les données archéologiques au niveau local ».

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