Les mutations du XIXe et XXe siècle

Le milieu du XIXe siècle est marqué par l’avènement de l’ère industrielle et le développement des réseaux de communication. La région n’échappe pas à cette évolution et entraîne pour les Briérons des mutations sociales profondes et l’apparition de nouvelles ressources.

La Compagnie de Bray obtient du roi le 2 juillet 1817 la concession du dessèchement des marais de Donges. Les travaux commencés en 1819 seront reçus le 10 juin 1825. Le paysage est considérablement modifié. Il est désormais quadrillé par les canaux et les douves, qui encadrent des prairies fauchées ou pâturées alors que les canaux de navigation sont longés par des chemins de halage et des rangées d’arbres. D’autre part, les écluses, en empêchant la remontée des eaux de l’estuaire par les étiers (sauf lors d’envois d’eau d’irrigation) déconnectent les marais de Donges du système estuarien et transforment, en bordure de la Loire, l’écosystème des anciens marais.

Une zone humide en recul : le bassin salicole de Mesquer

La saliculture locale, qui a largement perdu ses marchés à l’international lors des guerres de la Révolution et de l’Empire – marchés qu’elle ne retrouve pas ensuite – se maintient dans un premier temps. Cependant, l’émergence de l’industrialisation a raison de la production locale qui ne peut pas faire concurrence avec les sels de l’Est.

Toutefois, bien que la demande en sel diminue en raison de la mise en œuvre de méthodes frigorifiques pour les aliments, le Pays guérandais résiste. Le commerce du sel du bassin du Mesquer, en raison du maintien du cabotage, reste actif jusque dans la première moitié du XXe siècle. Mais le déclin n’est pas moins réel. La dégradation du réseau hydraulique, le vieillissement des producteurs qui met en cause la transmission des savoir-faire posent dans les années 1950-1970 la question de la continuité de l’activité salicole.

LA ZONE HUMIDE N’EN EST PAS MOINS MENACÉE

Au début des années 1800, les zones marécageuses sont réputées malsaines. S’inscrivant dans un idéal de salubrité publique, une loi rationalisant leur exploitation est alors votée. Un règlement de tourbage est élaboré et la Commission syndicale de Grande Brière Mottière, créée – premier organisme de gouvernance pour ce territoire, chargé de faire appliquer la règle. Cependant, les Briérons y sont hostiles, attachés à l’idée que la tourbe repousse. Finalement, la technique plébiscitée par le règlement s’avère inapplicable en raison du manque d’épaisseur du banc tourbeux. Aussi la zone humide est préservée ainsi que le mode de tourbage traditionnel et les outils habituellement employés (mare et salet).

Dans les années 1850, une autre menace pèse sur le tourbage. En effet, le dessèchement estival de la Grande Brière Mottière est mal assuré ce qui rend l’extraction de la tourbe impossible. Cette situation est imputable aux transformations de l’écoulement des eaux, entraînées par le dessèchement du marais de Donges. Les effets de chasse ne sont plus aussi efficaces : l’étier de Méan s’envase et l’évacuation des eaux pluviales qu’il draine est de moins en moins assurée.

La nécessité de réaliser des travaux hydrauliques s’impose. Il s’ensuit la construction de l’écluse de Trignac (1862-1863) et l’ouverture du canal de Trignac (1866-1868) qui permettent des effets de chasse avec l’eau ainsi collectée et retenue. Mais autour des années 1860, face à la concurrence des chemins de fer, le déclin des chantiers de construction navale en bois de l’étier de Méan s’amorce. Pour les charpentiers briérons, il faut trouver du travail ailleurs : à Nantes d’abord, puis dans les deux chantiers navals nazairiens.

Ainsi, le commerce des terres noires cesse totalement au début du XXe siècle au profit de produits de substitution des phosphates aux « noirs » comme engrais dans l’agriculture. Le tourbage, quant à lui, est également en recul en raison des évolutions économiques et sociales (le développement de l’usage du charbon comme combustible provoque la diminution puis l’arrêt du commerce de la tourbe) mais également des conditions hydrauliques.

Au lendemain de la 1ère guerre mondiale, en 1921, la Commission syndicale de Grande Brière Mottière rejette le principe de « dessécher de manière complète » la Grande Brière Mottière voulu par le préfet en 1913. Pour la Commission syndicale, il s’agit de maîtriser le niveau des eaux afin de permettre une valorisation diversifiée de la Grande Brière Mottière. Mais, très rapidement, la nécessité de travaux d’ensemble s’imposent. Outre la construction du barrage éclusé de Méan (achevé en 1937), un vaste programme de canalisation en Grande Brière Mottière sera proposé par l’ingénieur du génie rural René Talureau.

En 1942, en raison de la décision des autorités allemandes, prise au lendemain de l’opération Chariot (28 mars 1942), d’inonder la Brière et de leur refus ensuite de baisser le niveau d’eau, ces travaux sont remis en cause. Il faut attendre les années 1950 pour voir une relance des projets d’ensemble. René Talureau propose « l’assèchement, l’aménagement et la mise en valeur des marais de la Grande Brière Mottière » dans une perspective agricole. De nombreux travaux sont entrepris (dont le canal de Cinq-Mètres) mais les résultats s’accompagnent de leur lot de désillusions et, surtout, de nouveaux rapports au territoire s’établissent. Aussi ces travaux, qui ont pour but le desséchement de territoire, sont-ils contestés et abandonnés au début des années 1960.

Après les années 1960, la Grande Brière Mottière reste une zone humide. Son exploitation est en recul : le tourbage a disparu dans les années 1950, l’exploitation du roseau et l’élevage sont en déclin. L’entretien des canaux est moins bien assuré, la roselière ainsi que les boisements de saules s’étendent et avec eux les atterrissements. Surtout, le territoire s’ouvre de plus en plus à des usages sociaux liés aux loisirs, soit exercés par des Briérons (chasse et pêche), soit destinés à d’autres (tourisme) ; ceci alors que la volonté de préserver l’environnement progresse. La question du niveau de l’eau prend alors une importance nouvelle et souvent conflictuelle. Pour les Briérons, dont l’activité professionnelle se situe le plus souvent à l’extérieur de la Brière, le lien au territoire reste très fort mais se redéfinit alors que se perdent les savoir-faire traditionnels ancestraux.

Pour les zones humides, dans les années 1960, le bilan est contrasté mais globalement négatif : maintien de la Grande Brière Mottière, menace de disparition de la zone salicole, disparition des marais de Donges. Elles sont en recul et leurs fonctionnalités hydrauliques (rétention des eaux, ralentissement de leur écoulement, écrêtement des crues, recharge des nappes), épuratives et biochimiques (assainissement des eaux, stockage du carbone) ainsi qu’écologiques (forte production de biomasse, forte biodiversité, zones d’escale sur les routes migratoires des oiseaux, habitat spécifique ou privilégié pour diverses espèces menacées) se trouvent réduites.

Pour en savoir plus :
GALLICE, Alain, La Grande Brière Mottière du XIXe siècle à la mise en place du Parc naturel régional, Les cahiers du Pays de Guérande n° 54, numéro spécial, 2011, p. 7-65 et 80-103 (articles sur l’évolution de la Grande Brière Mottière (Alain Gallicé), sur les terres noires et le commerce de la tourbe et des terres noires (Jean-Louis Monvoisin). GALLICE, Alain, « Le B rivet de la construction de l’écluse de Rozé à celle du barrage éclusé de Méan (années 1820-années 1930) », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de la Loire-Atlantique, t. 147, 2012, p. 355-404. GUERIFF, Fernand, La marine en bois du Brivet : navires et marins de Brière, Le Pouliguen, éditions Jean-Marie Pierre, 1977. MONVOISIN, Jean-Louis, « Les chantiers navals de Brière aux XVIIIe et XIXe siècles », Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de la Loire-Atlantique, t. 144, 2009, p. 239-271.

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